Une musique libre et joyeuse s'élève des pages de ce premier roman : celle d'un choeur de femmes saluant la venue au monde de la petite Ève, enfant née d'un désir d'amour inouï.
Stéphanie est cheffe de cuisine, elle voulait être mère, mais pas d'une vie de couple. Elle est allée en Espagne bénéficier d'une procréation médicalement assistée, alors impossible en France. Greg, l'ami de toujours, a accepté de devenir le « père intime » d'Ève. Dans à peine deux semaines, aura lieu la fête en blanc organisée pour célébrer la naissance de leur famille atypique, au grand dam de la matriarche aigrie et vénéneuse qui trône au-dessus de ces femmes.
À l'approche des réjouissances, chacune d'elles est conduite interroger son existence et la place que son corps y tient. Toutes, soeurs, nièces, amies de Stéphanie, témoignent de leur quotidien, à commencer par Ève elle-même, à qui l'autrice prête des pensées d'une facétieuse ironie face à l'attendrissement général dont elle est l'objet. Comme dans la vie, combats féministes, tourments intimes et préparatifs de la fête s'entremêlent.
Camille Froidevaux-Metterie dépeint avec une grande finesse cette constellation féminine, tout en construisant un roman dont les rebondissements bouleversent : rien ne se passera comme l'imaginent encore Stéphanie et Jamila, la nounou d'Ève, s'activant la veille du festin tant attendu.
Tour à tour mordante et tendre, l'écriture, dans sa fluidité et ses nuances, révèle un véritable tempérament d'écrivaine.
Au tournant de l'année 1868, elles sont quatre très jeunes femmes à converger vers les ateliers de soierie lyonnaise où elles ont trouvé à s'employer : « ovalistes », elles vont garnir les bobines des moulins ovales, où l'on donne au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Rien ne les destinait à se rencontrer, sinon le besoin de gagner leur vie : Toia la Piémontaise arrive à Lyon en diligence, ne sachant ni lire ni parler le français, pas plus que Rosalie Plantavin, dont l'enfant est resté en pension dans la Drôme, où sévit la maladie du mûrier. La pétillante Marie Maurier vient de Haute-Savoie. Seule Clémence Blanc est lyonnaise : elle a déjà la rage au coeur après la mort en couches de l'amie avec qui elle partageait un minuscule garni, rue de la Part-Dieu.
Les mettant littéralement en mouvement par la grâce de sa langue nerveuse et inventive, Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses, à se passer le témoin dans une course vers la première grève de femmes connue.
C'est en juin 1869 que la révolte éclate : les maîtres mouliniers font la sourde oreille aux revendications des ouvrières qui réclament de meilleures conditions de travail et de logement. Les filles s'enhardissent, le mouvement s'amplifie et dès lors le livre avance au rythme exaltant d'une troupe féminine s'autorisant enfin à ne plus courber l'échine : nos quatre relayeuses y apparaissent comme en couleur, dans une foule anonyme en noir et blanc, titubantes dans l'élan de leur propre audace.
Donner vie et chair à leurs émotions, leurs élans et leurs expériences est le plus bel hommage qui pouvait être rendu à ces oubliées de l'histoire.
Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d'une maison bourgeoise, dans un bourg cossu du Cher, pour laisser s'épanouir le sentiment amoureux le plus pur - et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, à prendre en mains sa destinée. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l'héritier Boisvaillant tant espéré.
Comme elle l'a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s'apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire n'a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont elle martèle inlassablement les touches.
Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l'enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s'éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre sous les combles...
Les barrières sociales et les convenances explosent alors, laissant la place à la ferveur d'un sentiment qui balayera tout.
Née en 1976, Léonor de Récondo vit à Paris. Violoniste baroque, elle se produit avec de nombreuses formations, et avec L'Yriade, ensemble de musique qu'elle a fondé en 2005. Après Rêves oubliés (2012), roman sur l'exil familial pendant la guerre d'Espagne, Pietra viva (septembre 2013), qui évoque six mois dans la vie de Michel-Ange, a remporté un très beau succès public et confirmé son talent d'écrivain. Avec ce nouveau livre, Léonor de Récondo, dont on retrouve la phrase juste et précise qui conduit le lecteur au plus près de ses émotions, impressionne aussi par l'amplitude de ses sources d'inspiration.
Hantée par des rêves de chevaux fous aux prénoms familiers, poursuivie par la question que sa fille pose à tout propos - « Elle est où, la maman ? » -, Marie vit un étrange été, à la croisée des chemins. Quand, sur le socle d'une statue de la Vierge au milieu du causse, elle découvre l'inscription Et à l'heure de notre ultime naissance, elle décide d'en explorer la mystérieuse invitation.
Dès lors, elle tente de démêler l'écheveau de son héritage. En savoir plus sur ses aïeules qui, depuis le mitan du XIXe siècle, ont donné naissance à des petites filles sans être mariées, et ont subsisté souvent grâce à des travaux d'aiguille, devient pour elle une impérieuse nécessité.
Elle interroge ses tantes et sa mère, qui en disent peu ; elle fouille les archives, les tableaux, les textes religieux et adresse, au fil de son enquête, quantité de questions à un réseau de femmes, historiennes, juristes, artistes, que l'on voit se constituer sous nos yeux. Bien au-delà du cercle intime, sa recherche met à jour de puissantes destinées. À partir des vies minuscules de ses ascendantes, et s'attachant aux plus émouvants des détails, Marie imagine et raconte ce qu'ont dû traverser ces « filles-mères », ces « ventres maudits » que la société a malmenés, conspués et mis à l'écart.
À fréquenter tisserandes et couturières, à admirer les trésors humbles de leurs productions, leur courage et leur volonté de vivre, la narratrice découvre qu'il lui suffit de croiser fil de trame et fil de chaîne pour rester ce cheval fou dont elle rêve et être mère à son tour.
Car le motif têtu de ce troublant roman, écrit comme un pudique hommage à une longue et belle généalogie féminine, est bien celui de la liberté, conquise en héritage, de choisir comment tisser la toile de sa propre destinée.
Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d'Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociant, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre.
Lors de ses soirées solitaires à l'auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d'Andrea, il ne cesse d'interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre.
Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son oeuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l'affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo.
Parce qu'enfin il s'abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au coeur d'une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son oeuvre. Il retrouvera désormais ceux qu'il a aimés dans la matière vive du marbre.
Née en 1976, Léonor de Récondo vit à Paris. Violoniste baroque, elle se produit avec de nombreuses formations, et avec L'Yriade, ensemble de musique qu'elle a fondé en 2004. Elle a également enregistré des CD et des DVD. Rêves oubliés (Sabine Wespieser éditeur, janvier 2012), régulièrement réimprimé depuis sa parution, a révélé une romancière exigeante dont la phrase juste et précise conduit le lecteur au plus près de ses émotions.
Sur le pont du paquebot qui le ramène en Europe après une ultime saison à New York, Gustav Mahler laisse dériver ses pensées. À cinquante ans, il est un compositeur adulé et le chef d'orchestre le plus réputé de son temps, mais son corps souffrant lui rappelle que la fin est proche. Emmitouflé dans une épaisse couverture, l'oeil rivé sur la mer grise, son esprit dévide des souvenirs, surgis à la faveur d'une sensation fugace - le cri d'une mouette, l'ombre d'un nuage...
Robert Seethaler excelle à suggérer en quelques traits le pur bonheur des étés à la montagne, tout comme, dans un registre bien différent, la décennie pendant laquelle Mahler a réformé et dirigé l'Opéra de Vienne. L'amour tourmenté du musicien pour sa femme Alma, son chagrin à la mort de sa fille aînée et, bien sûr, la haute conception de son art traversent ce texte aussi bref que profond.
Sans la moindre emphase, l'écrivain restitue la légendaire exigence du maître, bourreau de travail malgré sa faible constitution, de même que sa quête permanente de la beauté.
C'est sans doute de son apparente simplicité que cet intense roman tire sa force. Les rares mots échangés face à l'océan entre l'illustre passager et le jeune garçon de cabine chargé de veiller à son bien-être sont à cet égard exemplaires.
Portrait tout en intériorité d'un artiste dont le génie ne s'est jamais tari, Le Dernier Mouvement est également une poignante méditation sur la puissance de la création.
En cette fin d'année 1985 à New Ross, Bill Furlong, le marchand de bois et charbon, a fort à faire. Aujourd'hui à la tête de sa petite entreprise et père de famille, il a tracé seul sa route : élevé dans la maison où sa mère, enceinte à quinze ans, était domestique, il a eu plus de chance que d'autres enfants nés sans père.
Trois jours avant Noël, il va livrer le couvent voisin. Le bruit court que les soeurs du Bon Pasteur y exploitent à des travaux de blanchisserie des filles non mariées et qu'elles gagnent beaucoup d'argent en plaçant à l'étranger leurs enfants illégitimes. Même s'il n'est pas homme à accorder de l'importance à la rumeur, Furlong se souvient d'une rencontre fortuite lors d'un précédent passage : en poussant une porte, il avait découvert des pensionnaires vêtues d'horribles uniformes, qui ciraient pieds nus le plancher. Troublé, il avait raconté la scène à son épouse, Eileen, qui sèchement lui avait répondu que de telles choses ne les concernaient pas.
Un avis qu'il a bien du mal à suivre par ce froid matin de décembre, lorsqu'il reconnaît, dans la forme recroquevillée et grelottante au fond de la réserve à charbon, une très jeune femme qui y a probablement passé la nuit. Tandis que, dans son foyer et partout en ville, on s'active autour de la crèche et de la chorale, cet homme tranquille et généreux n'écoute que son coeur.
Claire Keegan, avec une intensité et une finesse qui donnent tout son prix à la limpide beauté de ce récit, dessine le portrait d'un héros ordinaire, un de ces êtres par nature conduits à prodiguer les bienfaits qu'ils ont reçus.
Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Si sa mère et sa soeur se résignent aux coups et à la déferlante des mots orduriers, elle lui tient tête. Un jour, pour une réponse péremptoire prononcée avec l'assurance de ses huit ans, il la tabasse. Convaincue que le médecin du village, appelé à son chevet, va mettre fin au cauchemar, elle est sidérée par son silence.
Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. À l'École normale d'instituteurs de Sion, elle vit cinq années de répit. Mais le suicide de sa soeur agit comme une insoutenable réplique de la violence fondatrice.
Réfugiée à Lausanne, la jeune femme, que le moindre bruit fait toujours sursauter, trouve enfin une forme d'apaisement. Le plaisir de nager dans le lac Léman est le seul qu'elle s'accorde. Habitée par sa rage d'oublier et de vivre, elle se laisse pourtant approcher par un cercle d'êtres bienveillants que sa sauvagerie n'effraie pas, s'essayant même à une vie amoureuse.
Dans une langue âpre, syncopée, Sarah Jollien-Fardel dit avec force le prix à payer pour cette émancipation à marche forcée. Car le passé inlassablement s'invite.
Sa préférée est un roman puissant sur l'appartenance à une terre natale, où Jeanne n'aura de cesse de revenir, aimantée par son amour pour sa mère et la culpabilité de n'avoir su la protéger de son destin.
« J'écris ce texte comme on s'échappe, comme un retour à un monde possible. Et cette échappée me conduit vers la Furieuse, petite rivière du Doubs, affluent de la Loue, où Courbet se baignait enfant, où il s'est baigné jusqu'à la fin de sa vie.
C'est le nom qui m'a séduite d'emblée, la Furieuse. Sans doute contenait-il toutes mes colères, il parlait de moi.
Ce n'est pas un roman, c'est le récit d'un voyage intime traversant aussi les oeuvres d'auteurs aimés qui ont descendu ou remonté fleuves et rivières, ont vécu sur leurs rives parfois.
C'est un appel au secours à l'enfance, petite patrie lumineuse en laquelle je retrouve un peu de paix. C'est peut-être même elle qui a suscité ce voyage, en réveille d'anciens, me console de ce monde, me rend ma liberté. »
Depuis qu'il a composé le nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de visages noirs hurlant « Je ne peux plus respirer ». Jamais il n'aurait dû appeler le numéro d'urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d'un policier.
Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l'écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c'est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett - comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 -, qu'il va mettre en scène, la vie d'un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir.
Son ancienne institutrice et ses amis d'enfance se souviennent d'un bon petit élevé seul par une mère très pieuse, et qui filait droit, tout à sa passion pour le ballon ovale. Plus tard, son coach à l'université où il a obtenu une bourse, de même que sa fiancée de l'époque, sont frappés par le manque d'assurance de ce grand garçon timide, pourtant devenu la star du campus. Tout lui sourit, jusqu'à un accident qui l'immobilise quelques mois... Son coach, qui le traite comme un fils, lui conseille de redoubler, mais Emmett préfère tenter la Draft, la sélection par une franchise professionnelle. L'échec fait alors basculer son destin, et c'est un homme voué à collectionner les petits boulots, toujours harassé, qui des années plus tard reviendra dans sa ville natale, jusqu'au drame sur lequel s'ouvre le roman.
La force de ce livre, c'est de brosser de façon poignante et tendre le portrait d'un homme ordinaire que sa mort terrifiante a sorti du lot. Avec la verve et l'humour qui lui sont coutumiers, l'écrivain nous le rend aimable et familier, tout en affirmant, par la voix de Ma Robinson, l'ex-gardienne de prison devenue pasteure, sa foi dans une humanité meilleure.
Un samedi matin comme un autre, Thierry entend des bruits de moteur inhabituels tandis qu'il s'apprête à partir à la rivière. La scène qu'il découvre en sortant de chez lui est proprement impensable : des individus casqués, arme au poing, des voitures de police, une ambulance. Tout va très vite, et c'est en état de choc qu'il apprend l'arrestation de ses voisins, les seuls à la ronde. Quand il saisit la monstruosité des faits qui leur sont reprochés, il réalise, abasourdi, à quel point il s'est trompé sur Guy, dont il avait fini par se sentir si proche.
Entre déni, culpabilité, colère et chagrin, commence alors une effarante plongée dans les ténèbres pour cet être taciturne, dont la vie se déroulait jusqu'ici de sa maison à l'usine. Son environnement brutalement dévasté, il prend la mesure de sa solitude.
C'est le début d'une longue et bouleversante quête, véritable objet de ce roman hypnotique. Au terme de ce parcours quasi initiatique, Thierry sera amené à répondre à la question qui le taraude : comment n'a-t-il pas vu que son unique ami était l'incarnation du mal ?
Avec ce magnifique portrait d'homme, Tiffany Tavernier, subtile interprète des âmes tourmentées, interroge de manière puissante l'infinie faculté de l'être humain à renaître à soi et au monde.
« Je suis née en 1977 dans une centrale nucléaire, au sud de la Corée du Sud » : Rinny Gremaud n'aurait sans doute pas eu l'idée de ce livre si le président de son pays d'origine n'avait pas annoncé, quarante ans plus tard, la fermeture de Kori 1, « sa » centrale.
Installée en Suisse depuis son plus jeune âge, elle ne s'était jamais préoccupée de son père biologique, un ingénieur britannique avec qui sa mère avait eu une liaison alors qu'elle-même travaillait sur le chantier du réacteur.
Mais la dépêche marquant la fin d'un cycle, celui de l'utopie nucléaire, ébranle la narratrice au point qu'elle décide d'en savoir plus sur son géniteur. La voici à Holyhead, au pays de Galles, où il a vu le jour. La chance lui fait obtenir une adresse dans le Michigan. La lettre qu'elle écrit restant sans réponse, elle s'autorise à inventer une vie à cet homme qu'elle ne connaît pas et qui ne l'a jamais reconnue.
Les quelques jalons dont elle dispose déterminent les étapes de sa recherche : elle se retrouve à visiter les centrales où a travaillé l'ingénieur mécanicien reconverti dans le nucléaire, sur l'île d'Anglesey d'abord, puis à Taïwan et enfin, après la parenthèse coréenne, à Monroe, au bord du lac Érié.
Partie sur les traces d'un père, Rinny Gremaud va trouver des centrales atomiques.
Sans se départir de la distance et de l'ironie qui font le sel de ce livre, mais aussi sa grande pudeur, elle va magnifiquement entrelacer enquête journalistique et quête intime, faisant de ce generator un personnage de papier qui s'enrichit du silence de son modèle.
Girl est un roman sidérant, qui se lit d'un souffle et laisse pantois. Écrivant à la première personne, Edna O'Brien se met littéralement dans la peau d'une adolescente enlevée par Boko Haram. Depuis l'irruption d'hommes en armes dans l'enceinte de l'école, on vit avec elle son rapt, en compagnie de ses camarades de classe ; la traversée de la jungle en camion, sans autre échappatoire que la mort pour qui veut tenter de sauter à terre ; l'arrivée dans le camp, avec obligation de revêtir uniforme et hijab. La faim, la terreur, le désarroi et la perte des repères sont le lot quotidien de ces très jeunes filles qui, face aux imprécations de leurs ravisseurs, finissent par oublier jusqu'au son de leurs propres prières.
Mais le plus difficile commence quand la protagoniste de ce monologue halluciné parvient à s'évader, avec l'enfant qu'elle a eu d'un de ses bourreaux. Après des jours de marche, un parcours administratif harassant lors de son arrivée en ville, celle qui a enfin pu rejoindre son village et les siens se retrouve en butte à leur suspicion - et à l'hostilité de sa propre mère. Victime, elle est devenue coupable d'avoir introduit dans leur descendance un être au sang souillé par celui de l'ennemi.
Écrit dans l'urgence et la fièvre, Girl bouleverse par son rythme et sa fureur à dire, une fois encore, le destin des femmes bafouées. Dans son obstination à survivre et son inaltérable confiance en la possible rédemption du coeur humain, l'héroïne de ce très grand roman s'inscrit dans la lignée des figures féminines nourries par l'expérience de la jeune Edna O'Brien, mise au ban de son pays alors qu'elle avait à peine trente ans.
Devenue un des plus grands écrivains de ce siècle, elle nous offre un livre d'une sombre splendeur avec, malgré tout, au bout du tunnel, la tendresse et la beauté pour viatiques.
C'est en octobre 1955 que commence le procès d'Albert Black : ce jeune Irlandais de vingt ans, arrivé à Wellington deux ans auparavant, est accusé du meurtre d'un garçon lui aussi tout juste immigré, à l'occasion d'une rixe dans un bar.
Fiona Kidman ne se contente pas ici d'ouvrir à nouveau l'enquête sur les circonstances du drame - crime passionnel ? légitime défense ? - et sur la personnalité de ce gentil gamin de Sandy Row que la pauvreté a chassé de Belfast dans l'espoir d'une vie meilleure. Elle met également en lumière le contexte de l'époque : la peine de mort venait d'être rétablie en Nouvelle-Zélande, et le Premier ministre de publier un rapport accusant les immigrés de fraîche date de répandre le vice.
Ce passionnant roman donne bien le sentiment, poignant, et ce dès les premiers chapitres, que le sort de l'inculpé est déjà scellé : le procureur général, comme la plupart des jurés, semble l'avoir condamné avant même que tombe le verdict, rendant impossible toute tentative de défense. Sa propre mère, qui avait pourtant désespérément entrepris de réunir l'argent du voyage, s'était vu signifier que ce serait en vain.
Même si le directeur de la prison lui montre un peu de compassion, Albert comprend au fil des jours l'étendue de sa solitude dans ce pays où il s'était rêvé un avenir. Sa bonté, son calme et son humour face à l'adversité n'y font rien. Mais le puissant plaidoyer de Fiona Kidman, déjouant implacablement les mécanismes à l'oeuvre dans le rejet de l'autre, a déjà ébranlé plus d'un lecteur : une équipe de juristes est en passe d'obtenir la révision de la condamnation.
Comment caractériser une vie entière ? Les voix qui s'élèvent ici sont celles des habitants du cimetière, qu'on nomme « le champ » dans la petite ville de Paulstadt. À la concision des épitaphes, l'écrivain substitue les mots des défunts. Par un souvenir, une sensation fugace, une anecdote poignante, chacun de ces narrateurs évoque ce que fut son existence.
Au fil de la lecture émerge le portrait d'une bourgade comme tant d'autres, marquée par le retour de la prospérité au mitan du siècle dernier. La vie tourne autour des figures locales : le maire, la fleuriste, le facteur, le curé dévoré par les flammes dans l'incendie de l'église, le marchand de légumes...
Les voix se font écho, s'entrelacent, se contredisent parfois, formant le tableau d'une communauté riche d'individus et de sensibilités différentes. Subtil interprète de l'âme humaine, Robert Seethaler se penche sur leur intimité : les amours naissantes, les amours heureuses, ou moins harmonieuses - quand les fantasmagories de la femme signent pour son époux échec, malheur et drame.
Le plus saisissant dans ce texte est l'émotion qui sourd de chaque histoire : non celle de savoir le protagoniste disparu, mais l'empathie que parvient à susciter l'auteur pour ces êtres si vivants, leurs espoirs, leurs doutes, leurs ambitions, leur solitude.
Le Champ est un livre sur la vie, que Seethaler réussit à dire avec autant de simplicité que de profondeur.
Sur le parking d'un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l'ordre dans sa voiture. Il s'apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s'est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu'ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond...
Léonor de Récondo va alors suivre ses personnages sur le chemin d'une transformation radicale. Car la découverte de Solange conforte Laurent dans sa certitude : il est une femme. Reste à convaincre ceux qu'il aime de l'accepter.
La détermination de Laurent, le désarroi de Solange, les réactions contrastées des enfants - Claire a treize ans, Thomas seize -, l'incrédulité des collègues de travail : l'écrivain accompagne au plus près de leurs émotions ceux dont la vie est bouleversée. Avec des phrases limpides et d'une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d'un être dont toute l'énergie est tendue vers la lumière.
Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d'être soi.
Dehors, le bruit des tirs s'intensifie. Rassemblés dans la cour de l'école, les élèves attendent en larmes l'arrivée de leurs parents. La jeune narratrice de ce saisissant premier chapitre ne pleure pas, elle se réjouit de retrouver avant l'heure « son géant ». La main accrochée à l'un de ses grands doigts, elle est certaine de traverser sans crainte le chaos.
Ne pas se plaindre, cacher sa peur, se taire, quitter à la hâte un appartement pour un autre tout aussi provisoire, l'enfant née à Beyrouth pendant la guerre civile s'y est tôt habituée.
Son père, dont la voix alterne avec la sienne, sait combien, dans cette ville détruite, son pouvoir n'a rien de démesuré. Même s'il essaie de donner le change avec ses blagues et des paradis de verdure tant bien que mal réinventés à chaque déménagement, cet intellectuel - qui a le tort de n'être d'aucune faction ni d'aucun parti - n'a à offrir que son angoisse, sa lucidité et son silence.
L'année des douze ans de sa fille, la famille s'exile sans lui à Paris. Collégienne brillante, jeune femme en rupture de ban, mère à son tour, elle non plus ne se sentira jamais d'aucun groupe, et continuera de se réfugier auprès des arbres, des fleurs et de ses chères adventices, ces mauvaises herbes qu'elle se garde bien d'arracher.
De sa bataille permanente avec la mémoire d'une enfance en ruine, l'auteure de ce beau premier roman rend un compte précis et bouleversant. Ici, la tendresse dit son nom dans une main que l'on serre ou dans un effluve de jasmin, comme autant de petites victoires quotidiennes sur un corps colonisé par le passé.
« Pour mourir libre, il faut vivre libre. » La vie et la mort s'entrelacent au coeur de ce « Manifesto » pour un père bientôt disparu. Proche de son dernier souffle, le corps de Félix repose sur son lit d'hôpital. À son chevet, sa fille Léonor se souvient de leur pas de deux artistique - les traits dessinés par Félix, peintre et sculpteur, venaient épouser les notes de la jeune apprentie violoniste, au milieu de l'atelier. L'art, la beauté et la quête de lumière pour conjurer les fantômes d'une enfance tôt interrompue. Pendant cette longue veille, l'esprit de Félix s'est échappé vers l'Espagne de ses toutes premières années, avant la guerre civile, avant l'exil. Il y a rejoint l'ombre d'Ernest Hemingway. Aujourd'hui que la différence d'âge est abolie, les deux vieux se racontent les femmes, la guerre, l'oeuvre accomplie, leurs destinées devenues si parallèles par le malheur enduré et la mort omniprésente. Les deux narrations, celle de Léonor et celle de Félix, transfigurent cette nuit de chagrin en un somptueux éloge de l'amour, de la joie partagée et de la force créatrice comme ultime refuge à la violence du monde.
Dans les années 1980, tous les étés, la scène se rejoue à l'aéroport de Moscou, escale obligatoire au retour des vacances en Géorgie : les douanières fouillent les valises, terrorisent les filles et menacent leur mère, Daredjane, de ne pas la laisser repartir à Paris, lui rappelant qu'ici, elle est toujours soviétique. Mais Daredjane tient à ce que Kessané et sa soeur gardent un lien avec leurs grands-parents et avec son pays natal, qu'elle a quitté pour s'installer en France. Son mari, Tamaz, finissait par les retrouver et la famille reprenait le cours limpide des jours, dans leur pavillon du Vésinet.
Bien longtemps après, Daredjane contemple tristement le portrait de Tamaz, mort depuis dix ans déjà. Elle se sent étrangère dans la belle maison de Kessané, devenue journaliste, à qui elle reproche sa dureté. La mort du père a fait voler en éclats l'harmonie passée, les soeurs, si proches, se sont éloignées l'une de l'autre.
Tout était si simple avant, et si romanesque : le coup de foudre de Tamaz pour Daredjane, venue se produire au Théâtre des Champs-Élysées avec le ballet de Géorgie ; la détermination de la belle danseuse à le rejoindre à Paris ; le premier flirt de Kessané, son aînée, avec ce jeune voisin d'Abkhasie...
Élucidant les raisons de ce désamour à la clarté des souvenirs heureux, la subtile romancière excelle à suggérer les failles, à scruter les dissonances et surtout les silences : si on ne parlait pas de politique, c'est pourtant sur fond d'exil et de guerre que s'est écrite l'histoire de cette famille apparemment si ordinaire. Comme autant d'ondes de choc, les drames de leur pays d'origine viennent se mêler au drame intime que vivent ces trois femmes désormais confrontées à leur solitude. Nous nous aimions est un très beau roman sur l'empreinte ineffaçable de l'enfance.
Rien ne semble pouvoir troubler le calme du grand-duché d'Éponne. Les accords financiers y décident de la marche du monde, tout y est à sa place, et il est particulièrement difficile pour un étranger récemment arrivé de s'en faire une, dans la capitale proprette plantée au bord d'un lac.
Accueillir chez lui un migrant, et rendre compte de cette expérience, le journaliste vedette Jean-Marc Féron en voit bien l'intérêt : il ne lui reste qu'à choisir le candidat idéal pour que le livre se vende.
Ailleurs en ville, quelques amis se retrouvent pour une nouvelle séance d'écriture collective : le titre seul du pamphlet en cours - Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste - sonne comme un pavé dans la mare endormie qu'est le micro-État.
Subtile connaisseuse des méandres de l'esprit humain, Diane Meur dévoile petit à petit la vérité de ces divers personnages, liés par des affinités que, parfois, ils ignorent eux-mêmes. Tandis que la joyeuse bande d'anticapitalistes remonte vaillamment le courant de la domination, l'adorable Hossein va opérer dans la vie de Féron un retournement bouleversant et lourd de conséquences.
C'est aussi que le pamphlet, avec sa charge d'utopie jubilatoire, déborde sur l'intrigue et éclaire le monde qu'elle campe. Il apparaît ainsi au fil des pages que ce grand-duché imaginaire et quelque peu anachronique n'est pas plus irréel que le modèle de société dans lequel nous nous débattons aujourd'hui.
Doublant sa parfaite maîtrise romanesque d'un regard malicieusement critique, Diane Meur excelle à nous interroger : sous ce ciel commun à tous les hommes, l'humanité n'a-t-elle pas, à chaque instant, le choix entre le pire et le meilleur ?
À Sabratha, sur la côte libyenne, les surveillants font irruption dans l'entrepôt des femmes. Parmi celles qu'ils rudoient, Chochana, une Nigériane, et Semhar, une Érythréenne. Les deux se sont rencontrées là après des mois d'errance sur les routes du continent. Depuis qu'elles ont quitté leur terre natale, elles travaillent à réunir la somme qui pourra satisfaire l'avidité des passeurs. Ce soir, elles embarquent enfin pour la traversée.
Un peu plus tôt, à Tripoli, des familles syriennes, habillées avec élégance, se sont installées dans des minibus climatisés. Quatre semaines déjà que Dima, son mari et leurs deux fillettes attendaient d'appareiller pour Lampedusa. Ce 16 juillet 2014, c'est le grand départ.
Ces femmes aux trajectoires si différentes - Dima la bourgeoise voyage sur le pont, Chochana et Semhar dans la cale - ont toutes trois franchi le point de non-retour et se retrouvent à bord du chalutier unies dans le même espoir d'une nouvelle vie en Europe.
Dans son village de la communauté juive ibo, Chochana se rêvait avocate avant que la sécheresse ne la contraigne à l'exode ; enrôlée, comme tous les jeunes Érythréens, pour un service national dont la durée dépend du bon vouloir du dictateur, Semhar a déserté ; quant à Dima, terrée dans les caves de sa ville d'Alep en guerre, elle a vite compris que la douceur et l'aisance de son existence passée étaient perdues à jamais.
Sur le rafiot de fortune, l'énergie et le tempérament des trois protagonistes - que l'écrivain campe avec humour et une manifeste empathie - leur seront un indispensable viatique au cours d'une navigation apocalyptique.
S'inspirant de la tragédie d'un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte pendant l'été 2014, Louis-Philippe Dalembert, à travers trois magnifiques portraits de femmes, nous confronte de manière frappante à l'humaine condition, dans une ample fresque de la migration et de l'exil."
Dans les cartons de livres que lui a légués Léo, un vieil ami avec qui elle partageait la passion du théâtre, la narratrice découvre un exemplaire de La Chartreuse de Parme. Les premières pages la ramènent à l'été de ses quatorze ans, quand un homme de l'âge de son père lui lisait le roman à haute voix sur une plage. À la fin de la saison, il lui avait murmuré : « Quand vous serez plus grande, vous irez à Parme, il faut lire ce roman de Stendhal à Parme. » Des années plus tard, elle décide d'obéir à cette affectueuse injonction. Laissant désemparé l'homme qu'elle vient de rencontrer, elle prend seule le train pour l'Italie. Dans la sereine ville de Parme, la ferveur de ses préparatifs s'est évanouie. Mais, lorsqu'elle pénètre dans le théâtre Farnèse, son voyage soudain revêt un autre sens : sur la scène vide, défilent les silhouettes absentes dont les spectacles ont tant compté. Patrice Chéreau, Philippe Clévenot, Václav Havel, Tadeusz Kantor, Peter Brook et tant d'autres l'emportent dans une belle sarabande. Plutôt que celles, bien loin, de La Chartreuse de Parme, elle est venue suivre ici les traces d'un passé qui lui est essentiel. Le théâtre dès lors guide sa mémoire, envahit son séjour, l'apaise, et l'entraîne vers le présent. Quand, sur une impulsion, elle demande à son amant parisien de la rejoindre, un autre voyage peut commencer... Rendez-vous à Parme est un roman lumineux sur le désir, une invitation à vivre, comme au théâtre, tous les possibles.
Dans le prologue de cette saga conduisant son protagoniste de la Pologne à Port-au-Prince, l'auteur rappelle le vote par l'État haïtien, en 1939, d'un décret-loi autorisant ses consulats à délivrer passeports et sauf-conduits à tous les Juifs qui en formuleraient la demande.
Avant son arrivée à Port-au-Prince à la faveur de ce décret, le docteur Ruben Schwarzberg fut de ceux dont le nazisme brisa la trajectoire. Devenu un médecin réputé et le patriarche de trois générations d'Haïtiens, il a tiré un trait sur son passé. Mais, quand Haïti est frappé par le séisme de janvier 2010 et que sa petite-cousine Deborah accourt d'Israël parmi les médecins du monde entier, il accepte de revenir sur son histoire.
Pendant toute une nuit, sous la véranda de sa maison dans les hauteurs de la capitale, le vieil homme déroule pour la jeune femme le récit des péripéties qui l'ont amené là. Au son lointain des tambours du vaudou, il raconte sa naissance à ?ód? en 1913, son enfance et ses études à Berlin - où était désormais installé l'atelier de fourrure familial -, la nuit de pogrom du 9 novembre 1938 et l'intervention providentielle de l'ambassadeur d'Haïti. Son internement à Buchenwald ; son embarquement sur le Saint Louis, un navire affrété pour transporter vers Cuba un millier de demandeurs d'asile, mais refoulé vers l'Europe ; son séjour enchanteur dans le Paris de la fin des années trente, où il est recueilli par la poétesse haïtienne Ida Faubert, et, finalement, son départ vers sa nouvelle vie : le docteur Schwarzberg les relate sans pathos, avec le calme, la distance et le sens de la dérision qui lui permirent sans doute, dans la catastrophe, de saisir les mains tendues.
Avec cette fascinante évocation d'une destinée tragique dont le cours fut heureusement infléchi, Louis-Philippe Dalembert rend un hommage tendre et plein d'humour à sa terre natale, où nombre de victimes de l'histoire trouvèrent une seconde patrie.
Quand il arrive à Irún où il espère rejoindre sa famille, Aïta trouve la maison vide. Le gâteau de riz abandonné révèle un départ précipité. En ce mois d'août 1936, le Pays basque espagnol risque de tomber entre les mains des franquistes. Aïta sait que ses beaux-frères sont des activistes.
Informé par une voisine, il parvient à retrouver les siens à Hendaye. Ama, leurs trois fils, les grands-parents et les oncles ont trouvé refuge dans une maison amie. Aucun d'eux ne sait encore qu'ils ne reviendront pas en Espagne.
Être ensemble, c'est tout ce qui compte : au fil des années, cette simple phrase sera leur raison de vivre. Malgré le danger, la nostalgie et les conditions difficiles pour nourrir sa famille, Aïta travaille comme ouvrier à l'usine d'armement, lui qui dirigeait une fabrique de céramique.
En 1939, quand les oncles sont arrêtés et internés au camp de Gurs, il faut fuir plus loin encore. Tous se retrouvent alors au coeur de la nature, dans une ferme des Landes. La rumeur du monde plane sur leur vie frugale, rythmée par le labeur quotidien : les Allemands, non loin, surveillent la centrale électrique voisine, et les oncles, libérés, poursuivent leurs activités clandestines.
Écrit comme pour lutter contre la fuite des jours, le carnet où Ama consigne souvenirs, émotions et secrets donne à ce très beau roman une intensité et une profondeur particulières.
Léonor de Récondo, en peu de mots, fait surgir des images fortes pour rendre à cette famille d'exilés un hommage où une pudique retenue exclut le pathos.